Tous ensemble, mais sans plus

Georges Flipo

Anne Carrière

  • Conseillé par
    6 novembre 2012

    Il commence par ces mots (dans Le club Vie Intense) : "Immuables. Les dîners chez les Pontignac étaient immuables jusque dans leur grain de folie. Chaque deuxième samedi du mois, Monsieur et Madame recevaient une vingtaine d'amis, tous gens de bonne compagnie, notables de Nantes dans la cinquantaine avancée, et les répartissaient en trois tables, en imposant la dissociation des couples puisqu'on était à l'âge où le verbe se libère plus volontiers en l'absence du conjoint. Les recettes de Darawalee, leur domestique thaïlandaise, étaient très appréciées et s'entouraient de mystères qui ajoutaient une pincée de piment à leur saveur -c'est délicieux, chère amie, ces pak-choï au crabe, comment votre petite prépare-t-elle cela ? Ah, tout simplement avec du crabe et des pak-choï, oui, bien sûr." (p.11) Et l'on sent tout de suite que le ton sera ironique et moqueur. C'est vrai, certes, mais pas que... Car l'auteur crée des personnages auquel il, et nous lecteurs avec lui, nous attachons. A certains beaucoup moins, ceux qui ont le pouvoir aussi minime soit-il.

    Mais malgré tout, ils ne sont pas totalement antipathiques, plutôt maladroits, et pris dans un système qui les empêche d'agir plus humainement. Et là, je pense particulièrement à la nouvelle Tous ensemble, mais sans plus qui raconte l'entretien de Raoul Noir pour un poste important dans une entreprise de parfums. Ou alors, ils sont "plus bêtes que méchants", comme on dit par chez nous, notamment les collègues de l'entreprise de Sabrina (dans Changement de look) qui l'obligent à rentrer chez elle ré-habillée par une spécialiste du relookage, sans penser aux conséquences éventuelles.
    Il est beaucoup question de différence sociale, de différence culturelle, de différence d'instruction, d'éducation et même de différence de niveau de langue comme Jacek qui redoute le quiproquo dû à son français approximatif (La maîtrise de la langue). Toutes difficilement surmontables. Ce n'est pas du pessimisme. C'est malheureusement une réalité : que peuvent avoir à se dire un dirigeant de petite entreprise, lecteur de philosophie et aspirant à un repos au calme, une sorte de retraite solitaire et un amateur de sudoku et de jeux télévisés, qui plus est, bavard (Le monsieur de l'autre lit) ? Un mariage est-il possible voire souhaitable entre une jeune fille de bonne famille et un jeune homme (qui s'aiment) à la réussite avérée certes, mais issu d'un milieu modeste et qui malgré des efforts garde en lui des pans de son éducation (Les choses du marais) ? Oublie-t-on ses amours de jeunesse lorsqu'on a "réussi" (Gracieusette)?
    D'autres sont plus optimistes et jouent avec ces codes : Le naturalisme chez Zola (ou comment passer un oral de littérature), Sainte Pauline des Tandas (comment le tango rapproche les gens pour peu que l'on ait un peu de coeur.
    Quatorze nouvelles très bien écrites, tour à tour tendres, drôles, dures, réalistes, parfois tout en même temps, pas forcément avec des chutes tragiques ou comiques. Parfois, juste des tranches de vies. J'ai une tendresse particulière pour celles qui justement finissent sans chute et qui font s'interroger tout le monde, lecteurs et personnages et peut-être même auteur : La vache et le tigre, Changement de look ou L'heure du bain. Ah, celle-ci je l'aime beaucoup. Bourrée de tendresse sans être gnangnan. Parler de l'amour des personnes âgées en finesse mais très directement n'est pas aisé. "Hélène n'avait pas de telles préventions. Elle imaginait toute cette vie sexuelle endormie qui s'éveillerait, maladroitement sans doute, mais avec tant de sincérité. Revivre à deux, finir à deux. Elle n'avait aucun souvenir de sa dernière nuit d'amour avec son mari. Cette nuit-là, savait-elle que c'était la dernière ? Désormais, elle vivrait chaque nuit à deux comme si ce devait être l'ultime et mémorable." (p.266)
    Souvent lorsqu'on ouvre un livre de nouvelles, on en lit une puis deux et ensuite on ouvre un autre livre, puis on reprend le recueil de nouvelles pour une ou deux, et ainsi de suite. M'est avis, que comme moi, vous ouvrirez ce bouquin et n'en prendrez un autre que lorsque vous l'aurez fini.